À la fin de ma conférence, j’ai fait la connaissance du professeur Bobroff ; c’est un physicien attaché à l’Université Paris-Sud, spécialiste de la recherche sur le froid. Le professeur Bobroff avait été impressionné par l’intensité avec laquelle j’étais « habité » par mon sujet, il voulait tenter une expérience avec moi. Il m’a expliqué que, dans son domaine, il est déjà arrivé que des rencontres totalement inattendues déclenchent de vraies avancées scientifiques. En m’écoutant, il avait eu l’intuition que la présence dans son laboratoire d’une personne aussi « chargée de blanc froid » que moi pourrait avoir un impact sur l’esprit du lieu et, éventuellement, ouvrirait de nouvelles voies de recherche.
Il m’a invité à passer quelques mois dans l’aile expérimentale du département du Froid de son université. J’aurais le même horaire de travail que n’importe quel autre chercheur, je serais payé au même barème. Je devais simplement « être-là »
J’ai accepté. Et j’ai passé trois mois, assis en face d’une cuve de refroidissement totalement opaque que des chercheurs venaient sonder deux fois par jour avec grand intérêt. Moi, je n’y ai vu que du vide. Je n’y ai trouvé que le vide de sens de la situation dans laquelle je m’étais enfermé.
Je me suis de plus en plus replié sur moi-même. Et j’ai changé d’état. J’ai même sombré dans une forme de mélancolie. La mélancolie, on l’appelait « humeur froide » au Moyen-Âge. Et de fait, j’ai eu le sentiment de devenir moi-même une cuve de refroidissement. Comme personne ne venait se pencher sur moi, j’ai décidé de me sonder moi-même, de partir à la recherche fondamentale de mon être le plus enfoui.
C’est ça, que je vais vous présenter ce soir.
En ce qui concerne l’impact que ma présence a pu avoir sur le laboratoire, le professeur Bobroff m’a confié qu’il était encore beaucoup trop tôt pour en mesurer les effets éventuels.