Les Vilgas

Suivant une tradition remontant au Moyen-âge, les Vilgas, une corporation de peintres lapons, ont développé, grâce à leur grande proximité avec l’univers glacé de la surface polaire, un sens extrêmement fin des couleurs blanches. Leur âge d’or coïncide avec la naissance du protestantisme en Europe du Nord quand les églises avaient banni de leurs murs toute forme d’image, considérée comme source de mensonge. Les pasteurs faisaient régulièrement appel à leurs services pour peindre l’intérieur des églises d’un blanc si intense qu’il donnait au fidèle l’impression de rentrer dans un lieu d’une vérité absolue.

Avec la sécularisation de la société scandinave, l’intérêt pour les Vilgas déclina. Dans les années 1960, ils revinrent sur le devant de la scène lorsque Pontus Hultén les invita à venir peindre d’un blanc froid les murs du musée d’art contemporain qu’il dirigeait à Stockholm. Dans son sillage, de nombreux musées internationaux les embauchèrent lors d’expositions d’œuvres appartenant au Minimalisme et à l’Art conceptuel (l’austérité de leurs couleurs convenant parfaitement à l’état d’esprit généré par ces mouvements).

Au cours des années 1980, les expositions d’art contemporain devenant de plus en plus spectaculaires, les murs ont été peints en couleurs vives, parfois même criardes. À nouveau, les Vilgas retombèrent dans l’oubli.

Autrefois, le premier exercice pratique demandé à un jeune apprenti Vilgas était de composer son propre pinceau avec des poils de phoque. Les pinceaux avaient un nombre bien déterminé de poils que le novice devait nommer, chacun séparément, d’après le patronyme d’un de ses ancêtres. Au cours de la formation, le maître pouvait à tout moment désigner au hasard un poil du pinceau d’un élève et lui demander son nom. Si l’apprenti se trompait, c’était la mémoire du disparu qui était déshonorée et, un jour où l’autre, le poil mal nommé se détacherait du pinceau pour apparaître comme un reproche sur un mur fraîchement peint.

Ces dernières années, avec le réchauffement climatique et la fonte des glaces des pôles, les Vilgas ont été régulièrement sollicités par des scientifiques pour garder en mémoire (sous forme de panneaux peints) la grande diversité de blancs froids au- jourd’hui menacée de disparition.

Les Vilgas mettaient un point d’honneur à ce qu’une couche de peinture appliquée par eux sur un mur ne craquèle jamais, même après des années. Si cela devait arri- ver, la seule façon d’accepter leur existence était de retrouver exactement les mêmes craquelures sur les glaces du pôle.